Conversation comatique
T’es
vraiment dans un sale état. Ta mère est inquiète. On le serait à moins je
crois. Je ne comprends pas pourquoi elle m’a contacté; elle me connait à peine.
Je suis
mal à l’aise d’avoir cette conversation là avec toi. Lorsque tu es parti, il y
a plus de trois mois déjà, tu m’as dit que tu allais me recontacter et que tu
voulais que je respecte ça. Ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui. Mais ton
médecin nous a dit que parfois ça peut aider les patients d’entendre la voix
des personnes qui comptent pour eux. C’est aussi pour ça que je ne suis pas
trop certaine de comprendre pourquoi ta mère m’a contacté. Tu es parti, nous
avons rompu et depuis ton départ, je n’ai pas eu de nouvelles. Veux-tu juste me
dire pourquoi t’es allé jouer sur un gréage alors que c’est pas ta job et que
tu ne sais pas comment t’attacher convenablement? Mais tu es le gars le plus
serviable du monde alors tu as sans doute seulement voulu bien faire.
Depuis
ton départ, je pense souvent à nous. À l’amitié que nous avions, à la fréquentation
que nous avons établie entre nous et au couple que nous sommes devenus. Tu es
parti en tournée et moi je terminais mon baccalauréat. Tes courriels, lettres
et téléphones mettaient toujours une douce lumière sur mes journées trop bien
remplies et au sein desquelles je me sentais souvent seule et incertaine par
rapport à mon avenir. Je me remémore ton retour et nos moments passés ensemble
qui ont jalonné les semaines jusqu’à notre rupture et je tente de comprendre.
Je repasse en mémoire les différents détails et je n’arrive pas à déterminer le
moment où nous nous sommes trompés, où nous avons fais fausse route. Je ne peux
expliquer comment nous avons pu en arriver là. J’espérais avoir des réponses
lors de ton retour de cette tournée. Ma plus grande crainte est de ne jamais
les obtenir. Je crois qu’il me serait difficile voire impossible de passer à autre
chose. Tout comme les policiers qui perdent leur vie à se casser la tête sur un
crime jamais résolu.
J’ai
essayé de t’en vouloir. Vraiment! Mais j’ai tenu à peine une semaine et demie.
J’en étais incapable. Pourtant, j’en suis venue à détester tous mes ex. Je
crois que c’était la meilleure façon que j’avais trouvé de me guérir de mes
chagrins. C’est facile de détester les hommes qui nous ont trahis ou traités de
façon cavalière mais il est impossible de vouer du mépris pour une personne qui
a toujours été un gentleman. Le matin de ton départ, bien que je te sentais si
loin de moi, dans un pays que je n’ai jamais visité, je trouvais encore dans
ton regard tout l’amour que tu avais pour moi. Ton amour de la tournée était
simplement plus capricieux que le mien.
Malgré
les pronostics du médecin, j’ai en moi la certitude que notre histoire ne se
termine pas ainsi. Je me souviens de ton amour pour Walt Whitman, amour que
nous partageons, et je possède toujours mon recueil de sa poésie. Tous les
jours, jusqu’à ton réveil, je viendrai te faire la lecture. En langue originale
afin de ne pas dénaturer la beauté de ses vers. Et s’il le faut, je te lirai
Poe, et Prévert, et Keats. Je te ferai découvrir Baricco et autres auteurs que
je chéris tant. Mais tu te réveilleras mon amour. Crois moi, tu te réveilleras.