L'art de regretter après coup
Ce
matin très tôt, j’avais un rendez-vous à l’hôpital. À cause d’un début de mal
de gorge, je m’étais bien emmitouflée et heureusement car ce devait être le
matin le plus froid de la saison. Il y avait du frimat sur le gazon et, comme à
chaque fois où il fait froid, mes yeux et mon nez coulent. Presque
immanquablement je me fais demander si ça va par un passant qui croit que je
pleure. Je déteste lorsque ça arrive. Je déteste me faire aborder par un
inconnu lorsque je pleure et j’ai toujours un profond malaise en présence d’une
personne qui m’est étrangère et en larmes. Il y a de ces moments qui laissent
perplexe dans la vie.
Mardi
soir, il y a deux semaines. Je suis à l’université et j’assiste à un match d’impro.
La partie est très intéressante mais mon café, mon Guru et ma bière me
démontrent un grand désir de sortir. J’essaie tant bien que mal d’attendre à la
mi-temps mais après la seconde impro ça devient trop pressant; je n’arrive plus
à me concentrer sur ce qui se déroule dans l’improvisoire.
J’étais
sur le point de sortir de la cabine lorsque j’entends la porte des toilettes s’ouvrir
avec fracas et les sanglots d’une fille. J’attends qu’elle soit dans une cabine
avant de quitter la mienne. En me lavant les mains j’avais ses sanglots en
musique de fond et mon malaise pour me tenir compagnie. J’entendais que ça
remuait dans la cabine mais j’entendis surtout un «Câlisse!». Je me dirigeai
vers la cabine adjacente à la sienne, décrocha le rouleau de P-Q et le passa
sous la cloison qui nous séparait.
« Tiens.
Je crois qu’il n’y en a plus de ton côté. »
Elle
me murmura un « merci » et saisi le rouleau que je lui tendais. En
temps normal, je serais partie immédiatement ma B.A exécutée. Mais j’en étais
incapable. Il y avait quelque chose, une impression étrange, qui m’ordonnait de
rester. Je ne sais pas comment c’est sorti de ma bouche mais je me suis
entendue dire :
« Tu
veux en parler? »
- Bin
voyons! Je te connais même pas… »
Sa
première phrase avait presque été criée. Un mélange de surprise et de sarcasme
dans le ton. Et, bizarrement, la deuxième phrase avait été à peine soufflée
parce que sa peine prenait de nouveau toute la place.
« Justement!
En plus j’ai pas de jugement alors je te jugerai pas. Pis je peux pas te
regarder vu qu’on est chacune dans nos compartiments. »
Elle
considéra la chose un moment et décida de se lancer. Elle me raconta qu’il y a
un an et demi, environ, elle avait rencontré un homme vraiment beau et sexy. En
apprenant à le connaître, elle s’était rendue compte qu’en plus il était
gentil, drôle, intelligent, cultivé, etc, etc… Ils sortaient ensemble depuis
huit mois, les choses allaient bien. Ils avaient des projets. Mais sans raison
particulière, la veille, il l’avait laissé. Il lui avait donné des explications
un peu floues et la conversation avait été, dans l’ensemble, incohérente.
« Là
tu dois te demander pourquoi j’ai une crise de larmes ce soir si c’est arrivé
hier. »
Je n’eu
pas le temps de répondre qu’elle m’apprenait qu’elle venait de recevoir un
courriel de sa part disant qu’il s’excusait de son comportement étrange de la
veille mais qu’il ne revenait pas sur sa décision. Il lui demandait aussi de ne
pas le contacter. Il avait besoin d’être seul.
« Je
sais tellement pas quoi te dire! Je vais me taire au lieu de dire des conneries.
- Ouais,
j’en ai déjà assez entendu de même. « Bin voyons ma grande, un de perdu
dix de retrouvés! » ou bien « Tu sais il y a rien qui arrive pour
rien. Si ça arrive c’est parce que tu as quelque chose à apprendre » ou
bien…
- Le
temps arrange toujours les choses? »
Elle a
approuvé. Nous avons discuté encore un moment et j’ai réussi à la faire rire un
peu. Je suis sortie de ma cabine après m’être assurée qu’elle allait mieux. Je
préférais partir avant elle. Pour qu’elle n’aie pas la malaise de me voir en
face et pour qu’elle puisse prendre le temps qu’elle voulait pour sortir de son
compartiment.